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Malgré le caractère dérangeant de ses œuvres, nous avons vu dans l'épisode précédent que Caravage est en pleine ascension en cette année 1606.
Malheureusement pour lui, celle-ci va prendre brutalement fin. Le 28 mai très exactement.
III- Le départ de Rome
Une rixe qui tourne mal
Ce 28 mai 1606, Caravage se bat contre Ranuccio Tomassoni, le chef de la milice locale. D’autres personnes se mêlent alors à la rixe et la situation devient confuse. Le combat vire au drame quand Ranuccio Tomassoni s’effondre et meurt sur place.
Son ami Mario Minniti se trouve avec lui lors de l’échauffourée et doit lui aussi quitter précipitamment la ville pour Syracuse, sa ville natale. Certains pensent que l'une des raisons qui justifient l’affrontement entre Caravage et Tomassoni réside dans les critiques répétées visant les deux peintres quant à une éventuelle relation amoureuse : Caravage et Minniti se voient beaucoup, ont habité et travaillé ensemble, il est donc possible qu'ils aient été amants.
Mais la haine de Tomassoni envers Caravage était probablement alimentée par la jalousie : fréquentant les mêmes lieux malfamés, Caravage avait rencontré une célèbre prostituée nommée Fillide Melandroni et lui avait demandé de poser pour lui. Peut-être ont-ils eu une liaison, reste que Tomassoni, qui avait souvent recours aux services de la jeune femme, n'acceptait pas de devoir la partager avec un artiste de bas étage selon lui.
C'est donc à la suite de cette bagarre que Caravage a dû fuir Rome pour échapper aux soldats, rapidement au courant du meurtre.
Une vie d’exil
Aidé par les proches du marquis Colonna pour lequel son père travaillait, Caravage trouve refuge à Naples. Sous domination espagnole, la ville offre à l’artiste la possibilité de recommencer à peindre pour vivre et même s’enrichir grâce à des commandes religieuses.
Il réalise notamment une œuvre exceptionnelle appelée Les Sept œuvres de miséricorde. Le sujet de cette toile est tiré de l’Evangile selon saint Matthieu, dans lequel sont évoquées les actions qu’un chrétien doit accomplir : nourrir l’affamé, abreuver l’assoiffé, accueillir l’étranger, vêtir les malheureux, soigner les malades, visiter les prisonniers et ensevelir les morts.
Outre le fait que cette toile est l’une des plus connues du peintre, l’intérêt de cette œuvre réside dans l’association d’un sujet traditionnel à l’interprétation de Caravage. On constate notamment que, sous l’apparente disposition chaotique des personnages, tous les éléments sont représentés de manière à illustrer les différentes tâches que l’homme doit réaliser. Cette scène est structurée par l’utilisation originale de la lumière, qui permet de diviser le tableau en deux zones distinctes : celle de gauche où l’on peut observer le dos nu du mendiant, et celle de droite où une femme est occupée à nourrir son père au sein.
Ces deux parties sont d’ailleurs délimitées par le mouvement du bras d’un des anges qui soutient la Vierge. De plus, les jeux d’ombre et de lumière mettent en évidence les visages des personnages. On comprend donc que l’aspect chaotique de la toile a été savamment mis en place de façon à illustrer que les vicissitudes de la vie peuvent être atténuées par des actions charitables.
Telle la torche tenue par le prêtre auprès du cadavre, l’Église se doit de montrer le droit chemin et d’aider les hommes à racheter leurs fautes. Dans cette optique, on peut dire que ce tableau s’inscrit directement dans la vie du peintre : à une période où il est considéré comme un bandit et même un assassin, il tente de se montrer charitable et de laver ses péchés en peignant ce sujet.
La nostalgie de Rome
Caravage souhaite retourner à Rome alors qu’il y a été condamné à mort, pour laver son honneur et retrouver son statut de peintre reconnu. En effet, s’il continue à obtenir des commandes, il ne supporte pas l’idée d’être condamné par le pape pour un litige (et peut-être un meurtre) dont l’origine semble être de vives critiques sur sa conception de l’art.
Dans ce contexte, il se rend sur l’île de Malte en juillet 1607 où il espère être nommé chevalier de l’Ordre des Chevaliers de Malte. Il peint plusieurs toiles pour le grand maître Alof de Wignacourt, dont un portrait se trouvant au Louvre aujourd’hui.
Outre la prestance et la puissance du maître de l’Ordre en armure, le serviteur attire aussi le regard : que ce soit la taille démesurée du casque qu’il porte, la couleur rouge de ses bas, des plumes et du drapé, ou encore le regard malicieux qu’il lance au spectateur, Caravage ne conçoit pas ce personnage comme un élément laissé à part. Dans ses peintures, l’artiste ne néglige aucun détail, et permet même au serviteur d’exister à côté d’Alof de Wignacourt.
Certains critiques pensent que l’importance accordée à ce personnage dans le tableau est due aux relations homosexuelles que Caravage aurait entretenues avec le modèle. Relation qui selon les mêmes hypothèses aurait été la source des graves ennuis qu’allait connaître Caravage très peu de temps après avoir réalisé cette œuvre.
Les difficultés persistent
Un an après son arrivée dans l’Ordre des Chevaliers de Malte, Caravage obtient enfin le titre de chevalier lui permettant d’espérer la révision de son procès à Rome. Mais, quelques mois plus tard, à la suite d’une rixe, ce titre lui est malheureusement retiré et il est jeté en prison au château Saint-Ange. Il parvient miraculeusement à s’enfuir et se réfugie à Syracuse où, comme à Naples, il trouve des commanditaires auprès de grandes familles et du clergé. Comble de malchance, s’étant enfui de l'île de Malte avant son jugement, il est radié de l'Ordre des Chevaliers car il est considéré comme « un membre corrompu et fétide ». Il sera alors poursuivi par la justice des Chevaliers de Malte jusqu'à sa mort.
En octobre 1609, après l’annonce de ce jugement, Caravage quitte la Sicile et retourne à Naples où il peint notamment une version de David et Goliath, dans laquelle on ressent nettement les difficultés rencontrées par l’artiste.
Des œuvres pour raconter sa vie
Outre la lumière utilisée pour détacher la silhouette de David du fond noir et indéfini de la toile, l’élément le plus frappant de son interprétation de David et Goliath est la tête coupée de Goliath.
L’intérêt de ce tableau réside dans le fait que la tête sectionnée présente de nombreuses similitudes avec celle du peintre : un homme d’environ 40 ans, les cheveux bruns, une barbe peu entretenue, les traits tirés par la fatigue, les privations et surtout les maladies qui l’ont affecté durant sa vie. Le peintre aurait même repris une cicatrice qui témoigne de l’une de ses bagarres pour cette toile.
En considérant que la tête de Goliath est réalisée à partir des traits de l’artiste, la symbolique de cette œuvre est très forte : la tête tranchée permet de représenter une expression horrible qui montre la vie quitter peu à peu l’être humain. En faisant un parallèle avec la situation critique du peintre au moment de la réalisation de cette toile, on peut dire que Caravage se présente comme un homme vaincu certes, mais pas éteint. Pour toutes ces raisons, ce tableau est devenu célèbre dès sa création et nous fascine encore aujourd’hui.
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S’il avait déjà étudié les expressions du visage humain, notamment dans sa célèbre Méduse, on comprend que jusque dans les dernières toiles il cherchera à faire des parallèles entre les scènes représentées et sa propre vie. Dans La Décollation de saint Jean Baptiste, par exemple, la signature du peintre est représentée dans le prolongement de la mare de sang provenant de la blessure du saint, ce qui pourrait rappeler la situation difficile de l’artiste condamné à mort dans la ville où il souhaite ardemment retourner.
Caravage se présente en tant que martyre de son époque qui vivait sa vie et son art avec passion. À travers ses œuvres, on perçoit les traits d’un homme blessé par la vie et dont l’étrange perception du monde restera un mystère.
Sa mort restera également un mystère comme nous le verrons dans le prochain épisode.
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L'auteur
Aurélie, 26 ans, chargée d'études en tourisme, Paris.
Passionnée par les voyages et les arts, elle rédige des articles autour du thème de l'art en Europe.
©UneToucheD'Histoire - Textes d'Aurélie Margerin; Éditorial Cédric Soubrié. Contactez-nous pour réutiliser les images ou le texte : e-mail.
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